Temps : 3’00’’ Aujourd’hui, on oublie cinq minutes la communication, le big data et la blockchain, pour rire d’une plaisanterie qui sonne comme un délicieux 1er avril. Cette farce, c’est la com...
La Rédaction
Temps : 3’00’’
Saluée outre atlantique mais censurée en Russie, la comédie a provoqué une polémique qui sent bon le droit et la morale. Pour l’occasion, Eliott & Markus s’improvise critique de cinéma et vous emmène dans les coulisses d’une dispute trop rare à l’ère des films insipides. Et puis, avouons-le, on ne vous parle pas de ce film pour rien. Qui sont les mieux placés pour apprécier une œuvre censurée ? Les juristes évidemment !
L’opérateur radiophonique raccroche le téléphone.
– C’était le secrétariat du secrétariat général du secrétaire du secrétaire général…
– Staline ?!
– Il veut un enregistrement du concert de ce soir ! On m’a dit de rappeler ce numéro dans 17 minutes.
– Attends… 17 minutes après avoir décroché… ou raccroché ?
– … (Silence glacial)
Bienvenue dans les heures sombres du stalinisme. Nous sommes dans la nuit du 28 février 1953, et l’URSS s’apprête à perdre son irremplaçable Secrétaire général du comité central du Parti communiste : Staline.
Voilà en deux mots l’intrigue du bien nommé La mort de Staline, réalisé par le très ironique Armando Iannucci (In the Loop, Veep) et adapté de la BD éponyme signée par les français Fabien Nury et Thierry Robin.
Le film met en scène la garde rapprochée du défunt Staline : Nikita Khrouchtchev (Steve Buscemi), Viatcheslav Molotov (Michael Palin, ex-Monthy Python), Gueorgui Malenkov (Jeffrey Tambor) et le terrifiant chef du NKVD, Lavrenti Beria (Simon Russell Beale).
Tous désemparés, tous soulagés et tous terriblement ambitieux, ce groupe de joyeux compères va tout tenter pour prendre la place du patron. Un vraie intrigue à la Iznogoud. Avec en toile de fond, l’ambiance à la fois terrifiante et burlesque d’un Moscou paralysé par l’arbitraire omniprésent.
Nul besoin d’en rajouter. Concilier la terreur stalinienne et la farce de boulevard ? Impossible. Et pourtant. Le New York Times explique le tour de force : « le spectateur va et vient sans cesse, dans un même élan, de l’hilarité au malaise, du rire jaune au franc éclat de rire. » Mais pour certains, le malaise a été à sens unique.
C’est quasiment un infarctus qui a frappé la classe politique russe en cette matinée du 23 janvier, deux jours avant la première du film. « Un pamphlet, une provocation, une tentative de nous convaincre que notre pays est horrible, que notre peuple est idiot et que nos dirigeants sont des fous » dénonce la députée de la Douma, Elena Drapeko. « Un exemple de plus de la guerre psychologique menée contre notre pays » s’enflamme Sergueï Oboukhov, secrétaire du Parti communiste russe.
Sans surprise, le ministère de la Culture a retiré le lendemain le visa d’exploitation au film, arguant qu’il « existe une frontière morale entre l’analyse critique de l’histoire et la moquerie » et que le film « peut être perçu comme une moquerie envers les victimes du stalinisme. »
Moquerie. Le mot a été martelé par les autorités russes pour bien signifier que le problème est bien le ton, et non le sujet. Peut-on dénoncer l’horreur par les pleurs ? Evidemment. Et par le rire ? Jamais. Le débat s’était déjà posé avec la sortie du film La vie est belle de Roberto Benigni.
Mais la satire, aussi douteuse soit-elle, a au moins le mérite de révéler toutes les contradictions de la mémoire. Par son côté burlesque, le film oblige le spectateur à admettre toute l’absurdité du système stalinien, sans jamais tomber dans le grandiose.
C’est précisément le constat du magazine russe Ogoniok, pour qui La mort de Staline est une œuvre salutaire.
L’hebdomadaire compare le film avec le reste des productions russes, tiraillées entre « le tragique et la grandeur de cette époque ». « A cause de ces séries, le pays est désormais persuadé que c’était une époque grandiose, et que le reste n’a pas tant d’importance. (…) Quant à Staline et Beria, malgré leur férocité, ils apparaissent comme les incontournables héros de leur temps. (…) Le décor de la comédie de Iannucci est le même que celui de nos séries, mais l’approche comique permet de déconstruire le sujet : le comique n’efface pas la souffrance des gens, mais lui donne du relief. (…) Etonnamment, c’est donc la comédie de l’absurde qui transcrit de la manière la plus convaincante cette atmosphère de folie. »
La vie est belle partageait le même parti pris, en insistant davantage sur l’absurdité des crimes nazis que leur horreur. Pourquoi ce choix ? Parce que le rire vaccine contre la part symbolique que notre mémoire entretient avec ses dictateurs. Parce qu’il les déshabille de toute « grandeur », même dans l’horreur.
Est-ce suffisant pour justifier une comédie sur un thème aussi tragique ? Peut-être. A l’inverse, est-ce suffisant pour justifier une « frontière morale entre l’analyse et la moquerie », autrement dit une censure ? Peut-être pas. Réponse demain dans tous les cinémas.
(Et promis, la semaine prochaine on parlera communication).
Temps : 3’00’’ Aujourd’hui, on oublie cinq minutes la communication, le big data et la blockchain, pour rire d’une plaisanterie qui sonne comme un délicieux 1er avril. Cette farce, c’est la com...
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