Harvey. Ce nom, n’ayant rien à voir avec Harvey Specter, même s’ils travaillent tous les deux pour un cabinet d’avocats, est devenu en quelques jours le hot topic de l’année au sein des cabinets d’avocats. La fameuse IA tant attendue, tant redoutée, qui devait définitivement transformer l’industrie juridique, mais qui n’a, en réalité, jamais tenu ses promesses, est enfin arrivée. Ou du moins, “semble” être enfin arrivée.
Concrètement, Harvey est un Chatbot développé à partir d’une IA générative, qui lui permet de converser en langage naturel avec son utilisateur et de lui apporter un réponse “parlée”, puisée dans son jeu de données et formulée grâce à sa technologie de traitement du langage naturel (développée par OpenIA). Si vous vous êtes déjà essayé à ChatGPT, vous comprendrez instantanément le fonctionnement de Harvey, les technologies étant en tous points similaires.
Côté opérationnel, Harvey est capable d’automatiser de très nombreuses tâches, comme l’analyse de contrats, les due diligence, le contentieux ou la conformité réglementaire, et propose des recommandations et des prévisions ciblées, grâce à la titanesque ressource documentaire dont il dispose (merci à l’open data).
La jeune IA est évidemment polyglotte (lu, parlé, écrit), globe-trotteur à travers de nombreuses juridictions, nationales comme internationales (bien que son réel champ reste encore un mystère), full-service dans de multiples domaines (idem) et, surtout, constamment up-to-date.
S’il ne prédit pas l’avenir, Harvey intègre les procédures législatives en cours et “garantit” (avec beaucoup de guillemets) l’accès à l’information juridique la plus récente : un atout déterminant pour une profession dont l’une des grandes peurs est de perdre le fil d’une inflation réglementaire toujours plus galopante.
S’il est possible de multiplier à outrance les applications possibles d’Harvey (bien qu’aucune d’entre elles n’ait pu réellement être vérifiée), la rupture qu’il représente est ailleurs. Selon les termes de Baptiste Aubry, Responsable de la réglementation des services financiers de A&O au Luxembourg, dans un entretien accordé à Paperjam, Harvey “démontre une véritable logique juridique”.
Cette expression peut sembler insignifiante, voire vide de sens. Mais elle synthétise, en trois mots, toute la puissance de l’IA générative face aux technologies précédentes. A l’imitation s’ajoute aujourd’hui la réflexion. Autrement dit, une technologie dont la force créative ne se limiterait pas à “imiter” un type de contenu, selon un certain formalisme, mais serait bel et bien capable de mener une réflexion juridique et de formuler une stratégie ou une recommandation à la fois contextualisée à la demande initiale et conforme à son cadre applicable. Plus que du prêt-à-manger, c’est du grain à moudre que fournit Harvey à son utilisateur.
Evidemment, les réponses formulées nécessitent (encore ?) une révision assidue de la part de l’avocat : un garde-fou que le cabinet britannique a bien mis en exergue dans sa communication. Non, Harvey n’a pas vocation à remplacer l’avocat. L’image en vogue pour le définir penche plus vers le sparring-partner, le Jiminy Cricket de l’avocat : il challenge son raisonnement, optimise son temps de recherche et infirme ou confirme ses choix à la lumière de toute la data accessible, que son intelligence tentaculaire couvre.
Mais cette révolution, si elle a bel et bien commencé, où en est-elle maintenant ? Pour l’instant, sur l’ordinateur de 3 500 avocats d’Allen & Overy (worldwide tout de même), mais plus encore, sur les lèvres de tous les acteurs de l’industrie juridique.
Car si la technologie utilisée provoque une curiosité certaine, c’est sa communication de lancement qui en impose le respect. Rarement une annonce n’a autant pris de court. Et rarement son contenu n’a été aussi impérieux. “Je suis à l’avant-garde de la technologie juridique depuis 15 ans, mais je n’ai jamais rien vu de semblable à Harvey.” Cette citation de David Wakeling, Head of the Markets Innovation Group d’Allen & Overy, a résonné dans toutes les rédactions à travers le monde. Et quelles que soient les réserves formulées (notamment sur les épineuses questions de la confidentialité et de la cybersécurité), tous les observateurs s’accordent à dire que, même s’ils n’ont encore rien vu, ils n’ont jamais rien vu de tel.
Kevin Hoffschir