Il y a encore une dizaine d’années, le droit, les juristes et les avocats étaient perçus comme un mal nécessaire pour beaucoup de dirigeants. Majoritairement issus d’écoles d’ingénieurs ou de commerce, ils développent souvent peu d’affinités avec la matière, à moins d’avoir été confrontés à une crise incluant des enjeux juridiques forts. Jean-Pierre Clamadieu (Mines Paristech), président du conseil d’administration d’Engie, l’a parfaitement résumé lors d’un entretien pour les Business & Legal Forums : « le fait de devoir affronter certaines crises majeures dans lesquelles le droit est un outil de survie pour l’entreprise change votre appréciation. »
En 2021, cette vision a grandement évolué. Alors qu’en 2016, 60% des dirigeants résumaient le rôle des juristes et avocats à la rédaction des contrats et à la résolution des contentieux, ils ne sont plus que 44% en 2021 à partager cet avis.
Cette évolution s’explique notamment par la montée en puissance de multiples enjeux juridiques forts, comme la compliance, la pénalisation de la vie des affaires, l’extraterritorialité de certaines lois, l’éthique ou encore l’importance croissante des enjeux réputationnels, sociétaux et environnementaux… Les résultats de notre dernière étude, collectés pendant la crise sanitaire, confirment que les juristes sont désormais attendus sur des enjeux qui vont bien au-delà du droit. Plus que des exécutants, les dirigeants recherchent aujourd’hui de véritables « gardiens du temple. »
Le Graal : la stratégie d’entreprise. Le juriste est un expert dit « Business Partner. » Une formule qui ne veut pas dire grand-chose. La valeur ajoutée du juriste n’est pas la stratégie d’entreprise mais la stratégie juridique de l’entreprise. La sémantique a son importance pour être audible auprès des dirigeants. Ces derniers ne souhaitent pas qu’on marche sur leurs plates-bandes et à juste titre, pour l’instant les juristes sont des experts de la légalité, pas des stratèges d’entreprise.
En revanche, une stratégie (ou une intelligence) juridique globale peut générer une très forte valeur ajoutée si elle combine une vision plus systémique et tous les aspects juridiques : droit de la concurrence, PI, affaires publiques, droit du travail, fiscalité, compliance… Deux postures sont possibles une stratégie juridique défensive ou offensive. Le maitre du jeu est alors le directeur juridique groupe, ses équipes et ses conseils avocats seront aussi de la partie.
L’édition 2021 met en avant que le juriste aura un rôle clef en fonction de son savoir-être, de son intelligence relationnelle et émotionnelle. N’oublions pas que l’art du juriste est d’organiser, définir un juste équilibre des relations humaines.
C’est une belle question, mais elle reste soumise à beaucoup de paramètres. Tout dépend de la façon dont les juristes seront capables de développer une vision holistique, d’impliquer toutes les parties prenantes : dirigeants, pouvoirs publics, salariés, consommateurs… et de concilier les intérêts économiques et sociétaux, tant par des règles de hard law que de soft law.
Les Business & Legal Forums ont été membres d’un comité de pilotage, composé également de Florence Henriet (auteur du « Guide des cabinets d’avocats d’affaires ») et d’Ondine Delaunay (rédactrice en chef de la LJA) d’une étude – à paraître au début de l’été – pour l’édition française d’un grand magazine américain. Il en ressort que les entreprises attendent des praticiens du droit, au-delà de la technique, une meilleure intelligence relationnelle et une connaissance approfondie des acteurs et des autorités. Cette vision systémique les aidera à construire une stratégie juridique au service des enjeux économiques et sociétaux de l’entreprise. Un peu à l’instar d’une stratégie judiciaire lors de la résolution d’un litige.
Concernant plus spécifiquement les avocats d’affaires, l’un des participants de l’étude nous précisait que la génération montante des avocats d’affaires est différente de la précédente, qui ne comptait que quelques grands noms. « Nous ne cherchons pas des avocats médiatiques » selon sa formule. Sur un dossier particulièrement médiatique, celui-ci déplorait que les journalistes mettent en avant la parole de quelques avocats connus, qui n’étaient pourtant pas les meilleurs experts. L’avocat de demain, mais cela s’applique aussi pour le juriste en entreprise, devra trouver le juste équilibre entre le développement de sa notoriété et la discrétion attendue par les dirigeants.
Ghislain de Lagrevol est fondateur des Business & Legal Forums