C’est sur ce constat que s’ouvre la 31e édition de l’incontournable Radiographie des cabinets d’avocats© (2023) : “Si les cabinets sont restés très occupés pour la plupart, ils ont également un CA soit en baisse, soit qui enregistre une croissance plus faible, et ont vu, sinon l’effondrement, du moins une érosion notable de leur marge.” indique Caura Barszcz, rédactrice en chef de Juristes_associés, auteure du dossier.
Bien que l’analyse couvre l’année 2022, il est fort à parier que la même tendance se confirme pour cette année, tant le contexte s’est peu amélioré, voire même dégradé. En attendant de boucler les comptes pour en avoir confirmation, rien ne nous empêche de déjà nous projeter sur 2024 en s’appuyant sur les enseignements tirés de La Radiographie©.
Si l’on s’intéresse de plus près aux tendances de 2022, il ressort malgré tout une résilience du marché juridique face à un contexte dégradé. Certes, le CA des cabinets de taille intermédiaire est en baisse (–12,03 % ; CA par productif), la rentabilité est en baisse, même chez les plus importants ; et l’activité en corporate M&A demeure ralentie, avec une baisse notable du nombre d’opérations, notamment large caps.
Cependant, même bousculée, la barre tient. L’activité se maintient en social et en fiscal, tandis que les structures de niche ou à activité contracyclique affichent de bons résultats. Côté recrutement, la taille des cabinets augmente, avec des croissances d’effectifs entre 1 gros% et 10 % selon la typologie de cabinets.
Au fil de la lecture de cette analyse en demi-teinte de Juristes_associés, un dilemme transparaît pour les cabinets : résister ou évoluer ? Faut-il céder à la tentation du “jusqu’ici, tout va bien”, en attendant le retour à des jours meilleurs ? Ou faut-il, dès aujourd’hui, poser les fondations de nouveaux modèles d’affaires, quitte à faire évoluer la ligne stratégique du cabinet ? Caura Barszcz tranche définitivement le débat. “Face aux incertitudes économiques, climatiques, sociales, politiques, les réactions de repli vont se multiplier. Mais, comme les observateurs le confirment, c’est plutôt aujourd’hui qu’il faut déployer ses offres, communiquer, utiliser tous les outils du business développement et du marketing et investir dans les nouveaux outils pour sortir du lot avec des stratégies plus claires et affirmées.” Oser plutôt que stagner, tel est le cap à suivre.
Il serait difficile de faire un inventaire complet de tous les axes de développement possibles pour un cabinet. Néanmoins, trois tendances retiennent notre attention. La première est celle qui a fait la Une de toute l’année 2023 : l’IA générative. Il ne s’agit pas ici de trancher le débat sur les atouts et contraintes de ces nouveaux outils appliqués au secteur juridique, mais plus d’appeler les cabinets à rester curieux et à expérimenter. Si le célèbre ChatGPT reste trop limité et insuffisamment sécurisé pour un usage d’avocat, il faudra cependant rester attentif aux nombreuses Legal IA qui se développeront dans l’année à venir (Harvey, Jimini et autres solutions intégrées par les éditeurs de contenus et de logiciels).
Ces technologies constitueront les outils de l’avocat de demain. L’important aujourd’hui n’est pas tant de révolutionner tous ses process internes, mais d’entamer une phase de tests pour comprendre ce qui peut être optimisé au sein du cabinet. La solution idéale ne tombera pas du premier coup évidemment, mais ce n’est qu’en pratiquant, qu’en testant les atouts et limites de ces outils, que certains cabinets tireront leur épingle du jeu et trouveront leurs propres modèles de fonctionnement. Une année de Test & Learn en définitive, selon l’expression anglo-saxonne.
La deuxième tendance est davantage caractéristique des cabinets de taille intermédiaire. Comme l’indique La Radiographie©, plusieurs de ces cabinets ont atteint “une taille entre deux qui induit de fortes charges alors qu’ils n’ont pas une plateforme suffisante pour attirer certains dossiers plus rémunérateurs.” Face à cette taille critique, de nombreuses structures font le choix de fusionner, ou tout du moins, de se rapprocher.
Une démarche qui semble gagnante dans un paysage concurrentiel toujours plus saturé et face à une baisse avérée de CA. Cependant, comme le précise Juristes_associés, les fusions “apporteront du CA, mais surtout (sinon aucun intérêt car l’effet sera éphémère) permettront de déployer une offre cohérente et complémentaire.” Il est demeure donc impératif que tout projet de fusion accorde l’intelligence financière à l’intelligence commerciale pour rester cohérente dans le temps.
L’ultime enseignement de La Radiographie© est un vieux cheval de bataille : celui de l’alignement entre Business Development, marketing et communication. Tous les cabinets ont déjà intégré l’importance de rester actifs dans leur communication. Il ne s’agit plus désormais de communiquer pour communiquer, il s’agit de penser, de concert, la stratégie de développement du cabinet avec ses actions marketing et d’influence. Pour que chaque initiative ou prise de parole ne soit plus une “formalité”, mais serve une finalité.
Gwenaëlle Henri, fondatrice de l’agence Eliott & Markus, souligne l’importance décisive de cet alignement dans le secteur juridique : « Il y a un travail crucial sur le marketing de l’offre, visant à aligner les expertises avec les enjeux des clients et à identifier les marchés de complexité (ceux créateurs de valeur). Les avocats doivent plus que jamais prendre la parole, quitte à trouver de nouvelles voies d’expression. Cela passe par un équilibre entre les relations presse et les réseaux sociaux et l’élaboration de dispositifs ingénieux de relations publiques et d’influence. Plus que jamais, l’avocat d’affaires doit s’afficher, s’affirmer et sortir du repli provoqué par le COVID, qui a totalement repensé les modèles traditionnels de rencontres avec ses cibles. »